Parmi les adeptes du zéro déchet, dont Béa Johnson en a fait un art de vivre, de nombreuses personnes se transforment pour goûter à ce mode de vie de plus en plus répandu. Mais de quoi s’agit-il réellement et à quelles problématiques cela répond-il ? Rencontre avec Anne Le Guenniou qui vie zéro déchet.
Bonjour Anne. Tu n’as pas toujours vécu avec cette attention particulière portée aux déchets que tu génères et à l’impact de nos modes de consommation sur la planète et sur l'humain. Alors comment passe-t-on du métier d’informaticienne à ambassadrice du zéro déchet ?
J’ai travaillé plusieurs années dans l’informatique. J’aimais bien mon travail, mais il m’accaparait trop. J’avais l’impression d’avoir une vie hors-sol, de passer à coté de l’essentiel. A force de courir, j’ai eu besoin de me réapproprier mon rythme de vie. J’ai alors choisi de faire une longue pause professionnelle pour profiter de mes bambines et de me reconnecter à mes priorités. Très attentive à toutes les questions écologiques depuis longtemps, j’aspire à vivre sans détruire. J'avais conscience que je générais trop de déchets et je pressentais que ce n’était pas une fatalité. A mes yeux, le pétrole est bien trop précieux pour être jeté. J’espérais que les producteurs proposent spontanément des gammes de produits en vrac, pour éviter de jeter autant d’emballages plastiques. C'est en janvier 2014, lors de mon break, que j’ai décidé d’arrêter d’espérer et de passer à l’action. Je voulais devenir actrice de ma consommation. J’ai commencé à chercher des solutions zéro déchet pour tous les produits de mon quotidien. En 2014, l’offre de produits sans emballages était plus réduite que maintenant. Cela s’apparentait un peu à du hors piste et j’ai perdu du temps à essayer des recettes. Je me suis également initiée à la couture, au bricolage et aux travaux manuels, très utiles pour éviter les déchets. Je souhaite dorénavant raconter mon mode de vie, en phase avec mes aspirations les plus profondes.
Dans ton cas, tu as aussi impliqué dans l’aventure ton mari et tes enfants. Comment avez-vous vécu cette transition et combien de temps a-t-elle duré ?
Dans un premier temps, j’ai cru que toute la famille allait s’y mettre. Cinq années après, et si c’était à refaire, je me concentrerais principalement sur ma marge de manœuvre pour plus d’efficacité et pour m’éviter de perdre de l’énergie à proposer à mes proches de nouveaux produits alors que ce projet n’est pas le leur. Depuis début novembre 2018, je fais poubelle, en fait bocal à part, et j’aurais dû le faire dès le début de mon aventure. Mes proches s’y mettent à leur rythme, et choisissent des produits zéro déchet ou non. Nous sommes quatre, nous avons quatre dentifrices différents, et cela ne pose pas de problème. Malgré le fait qu’ils sont beaucoup moins impliqués que moi, globalement nous avons considérablement réduit nos déchets. Me concernant, la transition a été une période d’ajustements permanents, une période particulière. J’ai dû me déconditionner pour ancrer une à une de nouvelles habitudes. Les habitudes me sont très utiles, elles me permettent d’agir sans y penser. En me lançant ce défi, j’ai réalisé à quel point j’étais dans une routine avec de nombreuses habitudes, des actions faites machinalement. Le mot routine est parfois mal vu, mais personnellement j’ai besoin d’une bonne dose de routines comme socle et bien évidemment j’ai également besoin d’une dose d’imprévu, de nouveauté, de liberté. C’est une question de dosage. Pendant la transition, j’étais perturbée, en perte de repères. Je me souviens que c’est une période où j’ai ressenti un intense besoin de parler. C’est pour cela que je veux créer des discussions sur le sujet. Pouvoir parler de son quotidien pendant la transition permet de progresser plus facilement. Comme son nom l’indique, la transition c’est une étape transitoire. La transition est maintenant derrière moi, j’ai dorénavant un mode de vie zéro déchet, bien paisible. J’ai mis deux ans et demi environ pour l’adopter. Ca peut heureusement être plus rapide, d'autant plus que l’offre s’élargit de plus en plus.
Tu as participé l’an dernier au Défi Rien de Neuf organisé par l’association Zéro Waste et tu recommences en 2019. Ne rien acheter de neuf ? Alors qu’un français jette en moyenne 350kg de déchets par an, tu ne jettes que 1kg! Comment cela est-ce possible ?
Oui je m’implique dans la démarche car je suis passionnée. Je m’inspire de la « méthode » des 5R, présentée par Béa Johnson. Refuser ce dont je n’ai pas besoin. Réduire. Réutiliser. Retour à la terre, composter. Recycler. Je me suis équipée en emballages et produits réutilisables. Je me suis mise à la couture pour me fabriquer des sacs à vrac à partir de tissus de récupération. J’utilise deux éponges lavables, les mêmes depuis plus de 4 ans, des cotons démaquillants lavables et un oriculi en bambou pour remplacer les cotons-tiges. Je vais faire mes courses dans des magasins bio et qui vendent des produits en vrac. Heureusement, il y a de plus en plus de boutiques qui s’y mettent. J’ai maintenant le réflexe de réparer mes objets cassés, ou de faire réparer. Dernièrement, j’ai apporté dans un repair café mon grille pain et mon fer à repasser. Dans mon sac, j’ai un « kit » zéro déchet comprenant un sac à pain en tissu, une serviette en tissu, un gobelet en inox, une gourde, une cuillère, un tote bag. Ce kit me permet d’éviter de générer des déchets quand je suis à l’extérieur de chez moi. Pour manger le midi, souvent, je me prépare un repas, que je transporte dans un bocal. Pour préserver les ressources, j’achète le plus possible de seconde-main. Souvent l’achat d’objets neufs nécessite l’extraction de matières, une transformation coûteuse en énergie et en eau, des transports souvent intercontinentaux. Je me suis donc inscrite au défi Rien de Neuf en 2018, et également en 2019. Cela me permet d’explorer d’autres modes de consommation. Je suis surprise d’y trouver vraiment mon bonheur. En 2018, Emmaus, les ressourceries et l’achat en ligne de seconde-main ont été mes principales boutiques. En plus de participer à la préservation des ressources planétaires, c’est un mode de consommation très économique.
Tu es de plus en plus sollicitée pour témoigner de ton expérience, à tel point que tu souhaites en faire ton activité principale. Comment expliquer cet engouement ?
Au début de mon aventure, nous étions tellement peu, la démarche suscitait plutôt de l’incompréhension. J’ai senti une bascule de l’opinion à un moment donné, la sortie du livre de Béa Jonhson y est pour quelque chose. C’est vrai que maintenant il y a même un engouement. Des groupes locaux de l’association Zéro Waste, se multiplient, ainsi que des boutiques spécialisées dans la vente en vrac. De nouveaux modèles surgissent, comme les ressourceries, les compost partagés. Les AMAP ont beaucoup de succès et on constate une vraie dynamique. De plus en plus de personnes veulent prendre en compte la question écologique dans leur mode de consommation. De plus, stocker l’alimentation en bocaux, fabriquer des sacs à vrac dans de beaux tissus de récupération, tout cela a un coté esthétique qui attire beaucoup de jeunes. Acheter de seconde-main, faire soi-même quelque produits ménagers, quelques produits cosmétiques, des recettes de cuisine, tout cela a l’avantage d’être économique.
Quels conseils donnerais-tu à une personne qui souhaite se lancer ?
C’est une question que l’on me pose très souvent. Je recommande ce mode de vie qui est très gratifiant. Ce sont des nouvelles habitudes à mettre en place. Je conseille d’avancer pas à pas, tout en respectant sa propre capacité d’adaptation, pour que les nouvelles habitudes s’ancrent tranquillement et durablement dans son quotidien. Par exemple, j’ai changé simultanément de produit vaisselle et de dentifrice. Le produit vaisselle ne me convenait pas du tout, je l’avais fait en suivant une recette. Je craignais que mon dentifrice fait maison soit inefficace. Je ne pouvais pas rajouter un autre nouveau geste, pendant trois semaines, le temps que je m’habitue. D’après l’’association Zéro Waste, trois actions permettent de réduire ses déchets : acheter en vrac, composter et éviter d’acheter neuf. C’est une démarche à mettre en place en tenant compte de ses spécificités personnelles.